samedi 21 février 2015

La face cachée de Lunel.

Projet des classes Arts Plastiques du lycée Louis Feuillade, Lunel.
Une ville française est placée sous le feu des projecteurs depuis quelques mois : il s'agit de Lunel, dans le Sud de la France. En effet, environ vingt personnes de la commune de 26 000 habitants sont parties pour le djihad, et six sont mortes au combat.

Or, je suis lunelloise. Mes amies et amis sont lunellois. Chaque jour, je vais au lycée dans cette ville. Je passe donc mes journées dans une commune "laboratoire du djihad made in France", d'après le quotidien Le Monde.
Lunel est au cœur de la médiatisation : le New York Times, Le Point, Le Monde, Valeurs actuelles, le Figaro, BFMTV, iTélé ... Cette commune est désormais connue de tous et de toutes.


Je souhaite rétablir la vérité, donner mon opinion sur Lunel, puisque j'y suis, moi. Alors, en ce 7 Février 2015, le jour de la visite du ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve dans la ville, et un mois après l'attaque de Charlie Hebdo, je m'exprime.


Tout d'abord, je souhaite faire un point crucial sur le vocabulaire employé : effectivement, énormément de personnes confondent islam/islamique/islamiste/terroriste/djihadiste/extrémiste et autres termes utilisés pêle-mêle par les médias sans aucune précision.
L'islam est la religion des musulmans, qui considèrent Allah comme leur dieu et Mahomet comme leur prophète ; leur livre sacré est le Coran, et leurs lieux saints La Mecque, Médine, et Jérusalem.
Islamique est un adjectif qualifiant ce qui se rapporte à l'islam.
Islamiste désigne, quant à lui, une personne ou un comportement se rapportant à une pratique radicale ou extrême de l'islam.
Djihadiste provient du terme "djihad" qui signifie la "effort intérieur". Le mot prend en français le sens de "guerre sainte". Un djihadiste part donc au combat dans l'optique d'une guerre sainte.
Terroriste désigne une personne ou un groupe de personnes utilisant la violence pour faire entendre ses idées. Néanmoins, le terrorisme n'évoque pas seulement le terrorisme islamiste : toute personne utilisant la terreur pour imposer sa vision du monde est considérée comme terroriste.
Enfin, extrémiste désigne une personne ou un groupe de personnes qui ont une idéologie extrême : il peut s'agir autant de religieux (chrétiens, juifs, musulmans..) que de militants politiques.


Ensuite, je tiens à préciser que les musulmans ne sont pas tous des arabes, et que les arabes ne sont pas tous des musulmans, à cause des amalgames et préjugés existants. Effectivement, un musulman pratique l'islam et nous parlons donc de religion ; or, arabe désigne un groupe ethnique. Je peux donc être musulmane et diola (ethnie d'Afrique de l'Ouest), ou arabe et juive.
Par ailleurs, être arabe ou musulman ne veut pas dire être étranger ou immigré. Si je suis d'origine marocaine - et par conséquent, arabe - et que je suis née en France ou alors que j'ai acquis la double-nationalité, je suis française. Si je suis musulmane et que je suis née en France, je suis française.
Enfin, je voudrais corriger une expression employée par les médias : musulmans de France. Certes, il y a des musulmans en France qui n'ont pas la nationalité française, mais il y a aussi des français de confession musulmane. Je crois qu'il est primordial de rappeler que nous sommes tous français, et que la nationalité ne dépend ni de notre couleur de peau, ni de notre ethnie, ni de nos origines, ni de notre religion. Et sur ce point, les médias se prêtent allégrement à la confusion.

Finalement, je veux réagir sur un point : parmi les jeunes de Lunel morts au djihad, l'un d'entre eux s'est converti à l'islam, alors qu'il était issu de parents athée et juif. Ainsi, il ne faut pas négliger l'importance de la conversion ; je peux avoir aucun apport apparent avec l'islam, me convertir et pratiquer un islam radical ou extrême et partir en Syrie. Le djihadisme nous concerne tous, il ne frappe pas seulement les personnes nées avec la religion musulmane.


Expression libre des élèves du lycée Louis Feuillade, Lunel.
Puisque je suis assurée qu'il n'y aura pas de contradictions dans mes propos grâce à ces définitions, je peux donc commencer.
Nous ne pouvons nier l'existence d'un problème à Lunel, puisque une vingtaine de personnes issues de la commune sont parties pour le djihad, et que six y sont mortes. Cela peut provenir de facteurs
l'échec de l'école à enseigner les valeurs républicaines et autres.
Néanmoins, le problème que nous affrontons ici, il se retrouve ailleurs. Lunel n'est pas le "laboratoire" de quoi que ce soit, comme le rapporte le journal Le Monde. Les grandes villes françaises ont aussi des candidats au djihad, mais qui en parle ? Personne.
Si Lunel devient le centre de l'attention, et victime de sitgmatisation, c'est parce que six personnes sont mortes à des dates rapprochées. Les médias relatant les informations qui font vendre - et donc, qui font peur, en général - se sont donc focalisés sur cette information déroutante (une petite ville tranquille, ayant six morts pour le djihad !). Nous avons même eu droit à notre article sur le New York Times.
divers : des difficultés économiques et sociales de la ville, d'un sentiment d'exclusion ou de frustration, d'interprétations religieuses faussées, d'un enseignement religieux pas assez explicite, de


Quelle publicité pour la ville ! Nous sommes montrés du doigt. Lunel devient la ville de tous les dangers, le "laboratoire", enfin vous comprenez : le repère des djihadistes. Je ne nie pas le problème de la radicalisation. Il existe, nous devons le combattre. Mais, croyez-vous que Lunel est la seule ville touchée ?  Certainement pas.
Les médias jouent sur les sentiments, l'émotion, et en oublient toute mise à distance, toute remise en question. Alors, moi, Lunelloise, j'accuse. J'accuse l'information sentimentalisée et instrumentalisée, j'accuse la vision partielle des médias, j'accuse l'absence de réflexion.
Mon lycée a déjà été montré à la télévision. Des personnes ont été interviewées, sur la théorie du complot par exemple. La salle de prières où se réunissaient les personnes en voie de radicalisation était tout près de mon lycée, dans un bar à chichas.
Les médias ne cessent d'évoquer les djihadistes lunellois, mais qui parle du travail qui a été mis en place par le lycée après les événements de Charlie Hebdo pour que nous puissions nous exprimer ? Qui parle des dessins et mots écrits par les élèves et publiés sur les grilles du lycée pour protester ? Qui parle du discours ému du proviseur peu avant la minute de silence ? Qui parle du fait que nous ayons organiser deux minutes de silence ? Qui parle du discours d'une des représentantes de la Maison des Lycéens pour viser à l'unité et non à la fracture ? Qui parle du café philo gigantesque mis en place pour que les élèves puissent évoquer les événements de Charlie Hebdo et tout ce qu'ils sous-entendent librement ? Qui parle des projets des professeurs d'arts plastiques et de cinéma en réaction aux événements ? Qui parle du projet que mes camarades de Terminale et moi avons mis en place "Osez la liberté", afin de nous exprimer et de combattre les amalgames, la peur de l'autre, les violences verbales ? Qui en parle ? Qui ?
Personne.
Sûrement pas les médias.

Projet des classes Arts Plastiques du lycée Louis Feuillade, Lunel.

Et qui parle du fait que nous, nous nous sentions offensés par les propos des journaux nationaux ou internationaux ? Qui parle du ressenti des Lunellois ? Le Midi Libre -un journal local- le fait, mais ce n'est pas relayé par les journaux nationaux ! Qui parle de notre frustration, de notre colère par rapport à cette stigmatisation dont nous seuls sommes les victimes ? Qui parle de notre rejet de cette culpabilisation ? La ville de Lunel toute entière doit-elle être responsable de vingt personnes ? Certes, nous devons tout faire pour que cela cesse, mais nous ne devons pas devenir coupables de destins personnels. Qui parle enfin du fait que Lunel, soit-disant "laboratoire du djihadisme made in France" compte parmi ses rangs des jeunes gens avec des projets, du talent, de l'ambition ? Parmi mes amis, certains ambitionnent d'accéder à des écoles de cinéma renommées, d'autres veulent faire l'INSA ou Polytech, d'autres se donnent les moyens d'entrer en classe préparatoire littéraire, d'autres encore désirent intégrer Sciences Po. Alors, c'est ça le djihadisme made in France ?


Expression libre d'élèves du lycée Louis Feuillade, Lunel.



Réfléchissez. Il y a des problèmes importants, et le maire ainsi que son équipe, mais aussi les autorités religieuses, les associations, l’État, doivent agir afin de trouver des solutions durables, permettant d'enrayer le phénomène du départ pour le djihad. Néanmoins, nous refusons cette stigmatisation. Car, dans les médias, on ne vous parle pas de la face cachée de Lunel : cette face que je viens de vous décrire, et qui brille aux reflets de la lune.




Emma F, élève en Terminale Littéraire à Lunel.
 
NB : Effectivement, pour ceux qui connaissent ou s'intéressent à l'Histoire de la ville de Lunel, celle-ci tient son nom, qui signifie "Lune", de l'occitan. Une célèbre statue au centre-ville représente d'ailleurs la "Pescaluna" qui signifie "La pêche à la lune" ! On devrait plus souvent s'attarder au clair de lune entier plutôt que de prendre que le premier quart de celle-ci !

Une autre statue célèbre, représentative des valeurs auxquelles tiennent particulièrement les Lunellois, prend place sur un des rond-point de la ville : il s'agit de la statue de la Liberté ! Comment l'oublier ?

1 commentaire:

  1. Wooouah cet article est super tu résume bien la situation de Lunel et de notre Lycée.
    Je te félicite et félicite toute la TL1 pour ce très beau projet !
    Ce que vous faites la représente vraiment le fond de notre lycée avec les illustrations en plus on retrouve un lycée avec des lycéens tous différents soudé, ensemble pour avancer sur des sujets qui nous touche. Bravo à toute et tous !!

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